Yves Klein : Le Théâtre du vide.
Yves Klein : Lettre d’Art
Yves Klein est un artiste qui s’inscrit dans le courant de l’Art Conceptuel. Son oeuvre est connue pour la création de la couleur bleue qui porte son nom (le bleu de Klein). Découvrez une de ses réflexion sur l’art dans cette lettre intitulée : Théâtre du Vide.
Yves Klein – Publié dans Dimanche, le journal d’un seul jour le 27 novembre 1960
Partie 1
Le Théâtre se cherche depuis toujours, il se cherche depuis le début perdu.
Le grand théâtre, c’est l’Eden en fait ; l’important est d’établir une bonne fois nos positions statiques, chacun d’une manière individuelle et non plus personnelle dans l’univers. Depuis longtemps déjà j’annonce partout que je suis le peintre…Je n’en connais pas d’autre aujourd’hui ! Et je tiens à dire aussi : “Que je suis l’acteur, je suis le compositeur, l’architecte, le sculpteur.”. Je tiens à dire : “Je suis.”
L’on m’objectera sans doute que cela a déjà été hurlé de toute sortes de manières variées : c’est certainement juste. Par conséquent, je répète peut être cela, mais conscient, bien conscient d’avoir atteint le droit de le dire : et voilà que pour moi comme pour tous il n’y a plus rien à faire ; le théâtre officiel, aujourd’hui, c’est “être” et je “suis” bien effectivement tout ce que l’on veut que je “sois” et même tout ce que l’on ne veut pas que je “sois” ! J’atteindrai même à ne plus “être” du tout un jour !…Mais, que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas de moi quand je dis je, moi, mon, etc…
C’est parce que l’esprit dans lequel je vis est un esprit d’émerveillement, stabilisé et continu, un esprit classique, que je n’ai aucun caractère d’avant-garde, de cette avant-garde qui elle, vieillit si vite, de génération en génération.
Mon art n’appartient pas à l’époque, pas plus que l’art de tous les grands classiques n’a appartenu aux époques où ils ont vécu, parce que je cherche avant tout, comme eux, à créer dans mes réalisations cette “transparence”, ce “vide” incommensurable dans lequel vit l’esprit permanent et absolu délivré de toutes dimensions !
Partie 2
Non, je ne me laisse pas prendre à mon propre jeu en parlant aujourd’hui d’un théâtre du vide avec un tel avant-propos orgueilleux, égocentrique et même vaniteux sans doute en apparence : mon théâtre prendra une valeur universelle dans la mesure même où mes compagnons connaîtront mieux ma pensée que moi-même je ne la connais, car s’ils sont des milliers, ils la refléteront des milliers de fois alors que, moi, je suis seul.
(…) Ainsi, très vite, on en arrive au théâtre sans acteur, sans décor, sans scène, sans spectateur…plus rien que le créateur seul qui n’est vu par personne, excepté la présence de personne et le théâtre spectacle commence !
L’auteur vit sa création : il est son public, et son triomphe ou son désastre. Rapidement, l’auteur n’est même plus là lui-même, et pourtant tout continue…
…Vivre une constante manifestation, connaitre la permanence d’être : être là, partout, ailleurs, dedans comme dehors, une sorte de sublimé du désir, une manière imbibée, imprégnée dans “partout”…et tout continue, mono-théâtre, hors du monde psychologique enfin…L’avenir du théâtre ; c’est une salle vide : ce n’est plus de salle du tout !
Source : Jacques Bouzerand. 2006. Yves Klein, au delà du bleu. Edition : A propos.